lundi 27 juin 2016

La littérature française est-elle chiante ? (Partie 2)

De quoi parle t-on ?
La littérature française chiante, ça veut tout dire. C'est un raccourci, un de ces nouveaux chemins que l'on prend pour aller au plus vite d'un point A vers un point B, fidèles que nous sommes à ce conditionnement de l'immédiateté élevée au rang de doctrine. Maladie de notre siècle, conséquence comico-tragique de l'ère de la post révolution industrielle, de l'éclatement des moyens de communication, de la productivité et des cadences qui lorgnent vers les usages d'un autre temps.Procédons donc par ajustement pour oublier ces raccourcis inhibiteurs de tout. 

Des littératures de genre
Alors bon c'est vrai, ne soyons pas plus royaliste que le roi, il faut l'admettre, certaines littératures sont chiantes. Pour toi qui aime les histoires ancrées dans le réel et le quotidien, la science fiction et le fantastique vont te paraître des genres rébarbatifs, lourdingues, pénibles; et cela même lorsqu'ils seront servis par une écriture nerveuse, allant à l'essentiel. Ne parlons donc pas de ces grandes sagas et de ces bouquins de plus de cinq cents pages vantant les exploits d'une colonie d'homme expédiés dans une autre galaxie et autres créatures tombées du ciel dont la littérature de SF raffole. Les français ont-ils le monopole du caractère chiant de cette littérature-ci ? Non ! Nos voisins de plage de l'autre côté de l'Atlantique pourtant réputés plutôt balaises dans cette littérature de genre savent aussi se montrer pénibles à la lecture. Je me souviens d'avoir peiné corps et âmes à la lecture de certains bouquins de Norman Spinrad (qui a pourtant également réussi de vrais perles de genre), de Kim Stanley Robinson ou d'Orson Scott Card. Dans le genre pavé aride, ça se pose là. Certains parleraient également d'un Van Vogt ou encore d'un Asimov dont les personnages rigides jusqu'à l'extrême, caricatures d'êtres vivants, ont poussé à abandonner définitivement toute idée de lecture de Science Fiction. Ce qui est bien dommage puisque quand même, Asimov a écrit de véritables petites perles. Qu'importe, j'ai entendu plusieurs fois des lecteurs charger le bon docteur de pondre de la littérature de genre "chiante". Et nos français dans tout cela ? Je n'aurais qu'une seule réponse : Stephan Wul, de son vrai nom Pierre Pairault. Poésie, imaginaire, mondes enchanteurs : le dentiste a publié une dizaine de romans au fleuve noir à la fin des années 50 qui restent aujourd'hui de véritables ovnis que tout amateur de SF doit lire. Surtout ceux qui osent dire que ce genre est réservé aux auteurs anglo-saxons. Depuis, les choses ont évolué, et les auteurs français modernes de SF se sont extirpés de leur complexe d'infériorité qui les obligeait il y a un demi siècle a adopter un pseudonyme anglo-saxon pour faire plus sérieux. 

Il me semble que la même remarque peut s'appliquer aux polars et romans noirs. Certains lecteurs mono-maniaques ne lisent que ce genre de littérature (et ne s'en portent pas plus mal, je ne critique pas). Ils aiment les ambiances hard boiled, les atmosphères poisseuses, les crimes dans les bas fonds, les quartiers cradingues des villes tentaculaires. J'avoue j'aime bien aussi, même si au final je lis très peu de véritables polars, préférant les romans noirs. Mais enfin, les dingos de ce genre de littérature risque de s'ennuyer ferme avec un de ces bouquins dans lesquels il ne se passe... rien. 

Une certaine littérature chiante en France
Ah voilà, on y vient! Les romans où il ne se passe rien. Les bouquins de l'introspection ou du nombrilisme sauvage. Et là, il faut avouer qu'en France, on sait y faire. Combien de bouquins pour raconter par le menu une "tranche de vie" qui ne présente aucun intérêt, écrits dans un style au mieux journalistique, au pire morne, froid et gluant comme la peau d'un crapaud crevé sur une départementale du Puy de Dôme ? Ah ça on en a plein les étagères des librairies et des bibliothèques. Récemment j'ai vu que certains allaient jusqu'à écrire un bouquin pour raconter pourquoi ils ont changé de prénom. Tu parles d'un souffle lyrique et pour le dépaysement, l'ivresse de la littérature comme piste de décollage pour des ailleurs fruités et exotiques, tu repasseras ! Bon, je suis dur. Je n'ai pas lu ce bouquin-là. Mais j'aurais pu l'écrire. J'ai moi-même un prénom curieux, rare, qui n'existe pas, et du reste personne ne sait le prononcer ou l'écrire, même les gens qui travaillent avec moi depuis quinze ans. Bon d'accord, ceux qui n'y arrivent pas, même quinze ans après sont d'authentiques cons mais ceci est une autre histoire. Le fond du problème c'est que moi, un auteur amateur, je me sens tout à fait capable d'écrire un bouquin pour raconter comment et pourquoi je vais changer de prénom. Et là je pose la question : mais par quelle magie peut-on faire rêver de potentiels lecteurs avec un contrat tel que celui-là ? Mais quand on regarde le palmarès des ventes de bouquins dans notre pays, on constate que ce qui vend, c'est le larmoyant, les récits d'enfance tristounets et plein de larmes rentrées de personnages devenus publics envers et contre tous. Tu parles d'un souffle épique! C'est pas avec ce genre de supplément gratuit inséré en encart d'un "Notre temps" que l'on va donner envie à de nouveaux auteurs de construire une littérature ambitieuse et dévergondée. 


Il reste le verre à moitié plein. C'est marrant cette expression. Je suis justement en train de relire "Dans l'alcool" de Thierry Vimal. Un bouquin que l'on devine autobiographique et qui relate par le menu les quatre semaines passées par le narrateur en cure de désintoxication alcoolique. Ce n'est jamais nombriliste, c'est même tout le contraire, un bouquin ouvert sur les autres, à travers la vision d'un type qui doit retrouver la confiance en lui. Le ton est juste, la description de l'univers de la désintoxication très riche et passionnante. Certes le projet même du récit me touche plus qu'un autre mais c'est bien la preuve qu'on peut faire de la littérature française moderne réputée chiante sans qu'elle ne le soit.

Les américains
Et si, en définitive, ce qui nous faisait le plus mal dans notre rapport de lecteur au livre, c'était ce complexe que nous nourrissons envers la littérature américaine? Un peu comme c'est le cas pour les séries télé, encore que je connaisse très mal ce milieu, puisque je fais partie des derniers diplodocus à ne suivre aucune série télé. Il me semble que les ricains ont mis la main sur une certaine façon de raconter des histoires que nous jalousons. J'avoue que je lis beaucoup d'auteurs américains. Le domaine étranger de la collection 10/18 a longtemps constitué l'écrasante majorité de mes lectures en se focalisant sur tout ce qui venait de l'autre côté de l'Atlantique. Parce que j'y aime le ton libre, les grands espaces, cette impression que tout reste encore possible. J'aime les personnages de perdants congénitaux et malgré tout magnifiques que les auteurs américains dépeignent, sans trace de nombrilisme justement, une littérature du quotidien parfois oui, mais sans les excès de pédanterie que l'on reproche à la littérature chiante. Outre Bukowski, je cite le plus souvent mon trio de tête : John Fante, William Saroyan, Richard Brautigan... Chacun sait à sa manière trouver une façon de sublimer l'instant présent pour en extraire la moelle littéraire. Sans utiliser de grandes phrases, sans se regarder écrire. En étant authentiques. Ne pas tricher avec le lecteur, ni avec soi-même reste encore à mon sens la seule issue possible pour trouver le chemin de la rédemption pour un auteur. Et à ce niveau, pas besoin de carte d'identité ou de droit du sol, chacun me semble plus ou moins libre et à égalité avec ses tripes et son stylo. 

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