mardi 12 juillet 2016

La question du point de vue (3)

Après s'être intéressé à la définition simple et la plus répandue du point de vue narratif (cf article 1) puis de s'être apitoyé sur la façon maladroite que j'estime avoir fait montre dans "Brûler à Black Rock" (cf article 2), il est maintenant temps de se donner quelques perspectives. En écriture comme dans tous les domaines, l'essentiel n'est-il pas d'avancer ? 
Avant d'aller plus loin, il est utile et même nécessaire de rappeler que la plupart des dénominations utilisées ici ont été normalisées par Gérard Genette qui a travaillé sur la question de la narratologie. Plus de détails sur la page qui lui est consacrée sur le site de théorie sémiotique SignoSemio.

Combiner les focales
Même s'il semble acquis qu'un auteur choisit généralement un point de vue qui prédomine dans son texte, changer de temps en temps de focale constitue un véritable plus pour la profondeur du récit et du coup pour l'intérêt du lecteur. 

Focalisation interne fixe : c'est le point de vue interne classique, tous les événements sont rapportés à travers la seule voix d'un personnage qui est ou qui n'est pas le narrateur. 
Focalisation interne variable : cas très répandu où l'on suit le récit à travers les yeux d'un premier personnage puis d'un second, puis d'un troisième, etc... avant de revenir au premier.
Focalisation interne multiple : cas d'une même scène racontée à travers le regard de plusieurs personnages (procédé ultra répandu au cinéma notamment). 

Et bien entendu, n'oublions pas -comme nous l'avons déjà vu- la focalisation externe et la focalisation omnisciente; bref un éventail plutôt riche pour raconter une histoire en s'amusant à changer de point de vue (ou pas, on n'est pas obligé après tout).

La question de la Multifocalisation
Comment définir le récit dont l'auteur présente au lecteur les pensées, les idées (conscientes ou inconscientes) de plusieurs personnages tour à tour ? Est ce de la focalisation zéro omnisciente ou de la focalisation interne multiple ? Peu importe, au fond, pourrait-on être tenté de répondre. 
Oui, sauf que ça change un peu la façon dont on doit/on peut construire son récit. Et que ça m'intéresse car c'est précisément ce modèle là que j'ai suivi en rédigeant "Brûler à Black Rock" et à propos duquel je me pose pas mal de questions (comme abordé ici). Le passage d'un personnage à l'autre au cours du même chapitre, parfois même les allers retours au sein d'une seule page, me posent problème. Je trouve que l'unité du récit en prend un coup. Alors je n'ai peut être pas maîtrisé comme je l'aurais souhaité ce procédé mais après quelques recherches, je suis rassuré sur le fait que le procédé en lui-même n'est pas à remettre en cause.

Reste à choisir son camp dès lors que l'on souhaite se mettre à abonder dans la multifocalisation. 
Quelle vision de l'histoire l'auteur souhaite t-il donner à son lecteur ? Dès lors qu'il veut tout lui présenter, embrasser l'intégralité de son propos, de son univers, de ses personnages, il me semble que l'auteur doit abonder dans le sens de l'omniscience en multipliant les caractéristiques de ce point de vue (interventions de l'auteur qui se démarque du narrateur). Si au contraire l'auteur veut limiter la connaissance du lecteur à quelques zones de l'histoire définies, il est nécessaire de rester sur la réserve. Ce que je n'ai peut-être pas suffisamment fait dans mon dernier roman. 
Alors, on la fait sur qui la mise au point ? 
A la lumière de toutes ces considérations, j'ai tendance à penser qu'il est certes important pour l'auteur de savoir qui parle dans son récit. De même il est important de définir la ton adopté et la distance du narrateur. Mais il ne faut pas trop se préoccuper de ces détails non plus. Choisir une ligne de conduite et s'y tenir. Et surtout faire confiance au lecteur et lui permettre de prendre ses aises dans le récit. Sans lui tenir la main ni lui proposer quelque chose de trop commun ni de trop rigide. Ce qui compte c'est de ménager l'intérêt du lecteur pour l'histoire qu'il est en train de lire, et donc de lui accorder des espaces de liberté. Changer de focale est un processus qui me semble sain et nécessaire, surtout dans le but de donner du piment à l'intrigue ou plus de vie à un personnage.
Fort de ces constatations, je réfléchis à la façon avec laquelle je vais aborder mon prochain roman (démarrage prévu au quatrième trimestre). Je reparlerai après l'été de ces préparatifs et de comment je construis ce futur récit car pour l'heure, je dois terminer les ultimes ajustements de "Brûler à Black Rock".

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