samedi 29 avril 2017

Lecture : Dany Laferrière - L'énigme du retour

Toute l’oeuvre romanesque de Dany Laferrière est frappée du sceau de l’exil. Sa vie entière entre Haïti et le Québec a été déterminée par l’exil : tout d’abord celui de son père, contraint à quitter le pays à cause de François Duvalier, dit « Papa Doc » et de ses sinistres tontons Macoute, puis celui du fils poussé au même exil à cause de « Baby Doc », le propre fils du dictateur. 
Dans ce récit romancé, tous les thèmes habituels de l’auteur sont abordés : la filiation, l’écriture, le pays natal et donc, bien sûr, l’exil. Et les conséquences de l’exil sur le statut d’écrivain. « Le dictateur m’avait jeté à la porte de mon pays. Pour y retourner, je suis passé par la fenêtre du roman »

Le narrateur de cette histoire retourne en Haïti pour y enterrer ce père qu’il n’a pas connu mais qui a influencé toute sa vie d’homme, d’auteur et d’exilé. Trois conditions qui s’entremêlent : l’annonce du décès du père permet à l’homme de se remettre à écrire. Et de s’interroger sur tous les moteurs qui poussent un homme à continuer de vivre, à un écrivain de continuer d’écrire. Et puis bien sûr c’est le moment du retour en Haïti, si longtemps après l’avoir quitté, contraint pour échapper à la mort. Le moment de se confronter à tous les fantasmes que le temps a érigé en frontières floues entre le Québec et Haïti. Malgré les douleurs, les absences, les pères inconnus et les mères par delà la géographie des terres et le sang des hommes. « Écrit-on hors de son pays pour se consoler ? / je doute de toute vocation d’écrivain en exil » 
Dans ce roman récompensé par un Prix Médicis en 2009, Dany Laferrière laisse un peu tomber les allégories sexuelles et fantasques à tout va de ses précédents ouvrages et se fait plus grave, plus introspectif, et peut être plus brillant encore. Il y aborde les racines d’un être et les limites d’une conscience politique autant qu’intellectuelle. Il y convoque Aimé Césaire bien sûr : l’exil et la négritude rassemblent à travers les âges ces deux écrivains et ces deux poètes avant que l’auteur ne prenne ses distances d’avec le chantre martiniquais du retour au pays natal. 
Très différent de ses romans précédents, L’énigme du retour est à mon sens le plus réussi des romans de Dany Laferrière, peut-être le plus vrai - si l’on considère que la vérité est une notion dotée de sens.

Dany Laferrière - L’énigme du retour, Grasset, 304 pages, 18.3 €

vendredi 28 avril 2017

Lecture : Michel Houellebecq - Extension du domaine de la lutte

Premier roman de Michel Houellebecq, EXTENSION DU DOMAINE DE LA LUTTE met en place de nombreux ressorts stylistiques et narratifs de l’auteur sans les enluminures qui vont suivre dans ses ouvrages ultérieurs. Il y a une sensation d’urgence à la lecture de ce roman bref d’à peine 156 pages qui fut refusé à l’époque par de nombreux éditeurs. Il serait intéressant de savoir pourquoi ces éditeurs avaient refusé ce manuscrit voilà maintenant vingt-trois ans. Pour son propos ? Aujourd’hui la misère affective de l’homme occidental contemporain revenu de tout n’a rien d’original, mais en 1994… Pour son style ? Les détracteurs de l’auteur diront plutôt : pour son absence de style ? À ce sujet, l’incipit du roman est révélateur de ce qui attend le lecteur : « Vendredi Soir ; j'étais invité à une soirée chez un collègue de travail. On était une bonne trentaine, rien que des cadres moyens âgés de vingt-cinq à quarante ans. »

D'accord l'exercice est un peu dégueulasse. Il n'empêche, on est loin d’un incipit de Céline ou de Proust, mais à la décharge de Houellebecq, il n’est pas là pour faire du style, mais pour défendre des idées. Certains sont certes capables des deux, pas lui. Sauf à considérer que l’absence de style soit un style à part ? J’avoue que ces discussions me laissent froid. Les questions d'étiquette sont les combats de cour de récré des pisse-froid. 
En revanche le roman, puisque c’est de cela qu’il s’agit, ne m’a pas laissé froid. Le thème du cadre ironique et froid qui mène de front - et avec des résultats divers - sa lutte de classe sociale et sa lutte de classe sexuelle a été abordé maintes fois depuis. Mais Houellebecq intellectualise le propos et va au-delà de la simple narration de son histoire. Il y insère des réflexions qu’il attribue à son narrateur et qui étoffent le discours, le personnage et le roman. On pourra rétorquer que ces réflexions-là sont de bien piètre niveau et n’élèvent guère le discours en noircissant à dessein une société malade de tout, à commencer par son incapacité à se pardonner d’être ce qu’elle est. Oui, Houellebecq n’est pas là pour nous rassurer et joue lui-même un rôle trouble mais son univers de grisaille péri urbaine est finalement attachant. J’ai aimé son anti héros narcissique et dépressif, misogyne et égocentrique et quand on accepte le contrat moral de lecteur, ce petit roman est intéressant. Bien davantage que d’autres livres qui ont depuis tenté de reproduire la même veine sans réussir à sortir de l’ornière du premier degré ni à proposer une réflexion, toute critiquable qu’elle puisse être. (Une seule exception toutefois : Mauvais coûts de Jacky Schwartzmann : un roman certes différent mais qui a des points communs avec ce bouquin-là). Est-ce que cela valait une adaptation cinéma et des enthousiasmes débridés de la part de certains critiques ? Non, sûrement pas. Pas plus que les vagues de haine et de critiques négatives que son auteur a essuyé depuis.

Extrait : "Je n'aime pas ce monde. Décidément, je ne l'aime pas. La société dans laquelle je vis me dégoûte ; la publicité m'écoeure ; l'informatique me fait vomir. Tout mon travail d'informaticien consiste à multiplier les références, les recoupements, les critères de décision rationnelle. Ça n'a aucun sens. Pour parler franchement, c'est même plutôt négatif ; un encombrement inutile pour les neurones. Ce monde a besoin de tout, sauf d'informations supplémentaires."

Michel Houellebecq - Extension du domaine de la lutte, 
Maurice Nadeau, 156 pages, 16€ (épuisé)

jeudi 27 avril 2017

Lecture : Ian McEwan - Solaire

4ème de couverture : "Michael Beard a atteint une cinquantaine plus que mûre. Il est chauve, rondouillard, dénué de toute séduction et, au moral, il ne vaut guère mieux. Mais il a dans le temps obtenu le prix Nobel de physique ; depuis lors il se repose sur ses lauriers et recycle indéfiniment la même conférence, se faisant payer des honoraires exorbitants. En même temps, il soutient sans trop y croire un projet gouvernemental à propos du réchauffement climatique. Quant à sa vie privée, elle aussi laisse à désirer. En coureur de jupons invétéré, Beard voit sa cinquième femme lui échapper. Alors qu'il ne croyait plus se soucier d'elle, le voilà dévoré de jalousie. 
Bientôt, à la faveur d'un accident, il pense trouver le moyen de surmonter ses ennuis, relancer sa carrière, tout en sauvant la planète d'un désastre climatique. Il va repartir de par le monde, à commencer par le pôle Nord…" 

Ian McEwan est sans nul doute mon écrivain britannique contemporain favori. Je ne rechigne pas à passer un moment de lecture avec Julian Barnes (récemment encore) ou avec Jonathan Coe. Jadis, lorsqu’à vingt ans je découvrais la littérature, j’ai aimé David Lodge. Autrefois je ne crachais pas sur un Nick Hornby mais ses univers doux amer qui finissent chaque fois en adaptations ciné avec Hugh Grant ont fini par me sortir par les yeux (même si les romans sont bien meilleurs que les susdites adaptations sur grand écran). Je n’ai pas vraiment pris le temps d’aimer l’oeuvre de Martin Amis ou de découvrir celle de William Boyd. Alors, lorsqu’il s’agit de lire un auteur britannique d’aujourd’hui, mon goût personnel me porte vers Ian McEwan. Surtout depuis qu’il a ajouté à son large arc de compétences une nouvelle audace dans l’humour, parfois burlesque, qui fait tout le sel de toutes ses dernières productions. D’ailleurs hier encore au cours d’une pérégrination pascale à Chamonix, j’ai failli emporter (après m'être acquitté de son paiement bien sûr :)) son dernier roman dans la librairie Jean LANDRU (je recommande) de laquelle je suis finalement ressorti avec sous le bras un Jim Harrison (mon péché mignon), un David Vann et le dernier Tanguy Viel chez Minuit, encensé par toutes les critiques françaises, mais sans le dernier opus de McEwan, « Dans une coquille de noix » paru chez Gallimard (titre original « Nutshell » comme le splendide morceau éponyme d’Alice in Chains mais c’est une autre histoire, ne nous égarons pas et refermons les parenthèses, parsembleu !)

Or donc, Ian McEwan a écrit 14 romans entre 1978 et 2016 ainsi qu’une ribambelle de nouvelles qui ont révélé son goût pour l’énigme et une certaine forme d’humour grinçant dans la veine de la tradition britannique. Mais ce que j’aime chez cet auteur, c’est avant tout son style. Clair, lumineux par moments, le lecteur est tout de suite capté par cette voix qui nous guide et nous installe à notre aise dans un fauteuil club au coin du feu. SOLAIRE est un excellent bouquin écrit en 2011 et qui aborde des thèmes modernes au cœur de nos sociétés occidentales : le nucléaire, le réchauffement climatique, et bien sûr le destin de quelques personnages qui ne sont jamais que des hommes. Dit comme ça, ça ne m’inspirerait pas, j’avoue. Pourtant McEwan réussit à aborder ces sujets-là sans tomber dans la caricature ni dans le discours lisse. Les physiciens - comme son héros grassouillet, volage et en perte de vitesse - en prennent pour leur grade mais les ayatollah de l’écologie aussi. McEwan choisit de ne pas choisir, il dénonce les dérives de tous ces tristes hommes qui nous entourent et qui pérorent sans jamais sembler maîtriser quoi que ce soit. Et surtout tout le bouquin est nimbé d’une ambiance humoristique qui n’hésite pas à s’aventurer sur le carrément burlesque (pisser par -40° c’est toute une aventure, les jalousies et les situations induites par un héros qui en est à son cinquième mariage…) Son héros est un modèle de personnage détestable et attachant à la fois, dans cette veine de la fiction qui nous fait adhérer à des voyages qui ne payent pas de mine vus de loin mais qu’on a bien du mal à lâcher après les avoir démarrés. Excellent bouquin, distrayant et léger sur des thèmes pourtant pas légers du tout. 

Extrait : "Une invitation pour le pôle Nord arriva – du moins la décrivit-il ainsi aux autres et à lui-même. En réalité sa destination se trouvait bien en-dessous du 80e parallèle et, promettait la brochure, il séjournerait à bord d’un « confortable vaisseau bien chauffé, aux couloirs lambrissés, aux moquettes profondes et à l’éclairage tamisé », un navire trônant placidement au milieu des glaces d’un fjord reculé, accessible au terme d’un long trajet en motoneige au nord de Longyearbyen sur l’île du Spitzberg. Les trois difficultés seraient la taille de sa cabine, l’accès limité à sa messagerie électronique et une carte des vins réduite à un « vin de pays » nord-africain."

Ian McEwan - Solaire, Gallimard, 400 pages, 21€50

samedi 22 avril 2017

Appel à bêta lecteurs !

J'ai lu récemment des romans excellents mais aussi d'autres moins bons. Il faut absolument que j'en cause ici, au moins des premiers... Mais je n'ai pas le temps, car je profite de 2 semaines de congés pour boucler le troisième jet de "Manx". C'est un long travail assez contraignant mais qui, je l'espère, porte ses fruits. En tous cas il me semble que le manuscrit de ce nouveau roman prend une meilleure tournure après cette troisième mouture.
Je vais donc m'isoler encore une semaine pour finir de corriger ce troisième jet, ce qui me permettra à priori de soumettre à la bienveillance critique des bêta lecteurs un texte lisible dès le mois de mai. 
Qui dit bêta lecteurs dit que j'ai besoin de volontaires. C'est une étape importante pour moi car il s'agit de confronter ce texte à ses premiers lecteurs. Il ne s'agit pas du roman définitif mais d'une version qui s'en approche. La structure est là, les chapitres sont posés, toute l'intrigue principales et les intrigues secondaires sont décrites et - je l'espère - résolues, les personnages sont tous là. Mais j'ai maintenant besoin de regards extérieurs sur l'histoire. Attention, c'est là qu'il faut bien définir ce que j'attends des bêta lecteurs. Ben oui, parce que dit comme ça, ça veut rien dire. Alors, que doit faire mon béta lecteur ? 
- Il ne doit pas corriger les fautes (de style, de grammaire ou d'orthographe). Ce sera fait plus tard par mes soins (car c'est une version temporaire). 
- Il ne doit pas se mettre à la place de l'auteur en proposant sa propre vision de l'histoire.
- Il doit indiquer ce qui ne fonctionne pas dans l'histoire et dire pourquoi. Un ressort dramatique vous semble incohérent, il faut le dire. Un personnage vous semble manquer d'épaisseur ou de crédibilité, il faut le dire avec des exemples.
- Il doit signaler ce qu'il n'a pas aimé dans le roman en expliquant pourquoi.
- Il doit indiquer ce qui fonctionne dans l'histoire, en expliquant pourquoi. 
- Il doit indiquer ce qu'il a aimé dans le roman, en expliquant pourquoi.
- Il doit avoir assez de temps devant lui pour lire ce roman dans un délai raisonnable (disons 4 semaines maxi)
Voilà. C'est simple, au final, non ? Si ça vous intéresse, manifestez-vous dans les commentaires et on en reparle début mai ! MERCI :) 

mardi 18 avril 2017

Lecture : Richard Brautigan - Tokyo Montana Express

Richard Brautigan adorait le Japon. Jusqu'à y partager sa vie avec son ranch dans le Montana dans le seconde moitié des années 70. Il y aurait beaucoup à dire sur le sens poétique de la culture japonaise à laquelle Brautigan ne pouvait qu'être sensible. Dans cette façon de célébrer l'épure comme une respiration jusqu'à en imprégner ses plus beaux poèmes. Nul doute que le poète beat aurait aimé naitre japonais. Ses histoires d'amour avec le Japon lui auront toutefois permis d'imaginer ce qu'il aurait pu en être. Et à nous, lecteurs, de profiter de ces instants de grâce. Une partie des poèmes japonais de Brautigan écrits lors d'un séjour au pays du soleil levant est compilée dans l'indispensable "C'est tout ce que j'ai à déclarer" paru récemment au Castor Astral (chronique bientôt à suivre).
Pour les autres textes en rapport avec le Japon ou avec le Montana, ce recueil de 131 textes se propose d'en faire un voyage en classe bucolique, en prenant les chemins de traverse qui plaisaient tant à l'auteur. Et qui en font tout le charme. Il ne faut pas être pressé avec Brautigan, c'est le luxe de ceux qui ont le temps, Brautigan.
J'ai donc relu récemment ce recueil, même s'il ne fait pas partie de mes bouquins préférés de l'auteur. Mais je me suis mis dans la tête de relire tout Brautigan, parce que ces textes-là sont des bouts de fiction à tiroirs. Ils peuvent vous tomber des mains une fois et vous enchanter la fois suivante. Et l'inverse est vrai aussi. Parce que nous sommes des êtres de chair et que la littérature est une matière vivante, loin des étagères poussiéreuses des académies. Lire Tokyo Montana Express c'est à la fois s'enivrer d'un voyage dans un express à grande vitesse et souffrir du mal des transports puis c'est louper un train régional qui se traine et qui tombe en panne. Certains morceaux de cette composition rateront leur cible, d'autres la toucheront en plein cœur. C'est le jeu. Brautigan était un auteur foutraque, il ne faut pas s'attendre à ce que son oeuvre soit pondérée ou même classique. Ici le Japon et le Montana se côtoient dans un rapprochement culturel et géographique qui parait d'une limpidité absolue. Dans l'unique conjonction de temps et d'espace où la tradition japonaise peut cohabiter avec la culture américaine des années 70 : au croisement des rêves éthérés que fabrique le cerveau de Richard Brautigan. Ici, les deux pays se mélangent et se repoussent, s'attirent et s'ignorent avec un dédain et un éclat similaires. 

Extrait

"La plus petite tempête de neige jamais recensée

Il y a une heure de ça, dans le jardin de derrière chez moi, s’est produite la plus petite tempête de neige jamais recensée. Elle a dû faire dans les deux flocons. Moi, j’ai attendu qu’il en tombe d’autres mais ça n’a pas été plus loin. Deux flocons : voilà tout ce qu’a été ma tempête."

Richard Brautigan - Tokyo Montana Express, Christian Bourgois, 302 pages, 15 €

jeudi 13 avril 2017

Lecture : Dan Fante - La tête hors de l'eau

John Fante s'est fait connaitre en écrivant les aventures picaresques d'un double romanesque, immigré italien rêvant de fortune américaine, le célèbre Arturo Bandini (lectures absolument indispensables). Son fils Dan, après avoir bourlingué, multiplié les jobs à la con (un pléonasme?), aligné les rails de coke, les raies des putes et les bouteilles de gnole, s'est mis à écrire. Même si Point Dume fut une belle réussite à sa façon, il n'a rien écrit de mieux que son cycle consacré à son propre double romanesque, looser caractériel et alcoolique, paumé fan de Selby et de Bukowski (excusez du peu, même au plus fort de la déglingue dans le caniveau, on garde des références) j'ai nommé Bruno Dante.
Quatre tomes forment ce que les ayatollah de la dénomination appellent une tétralogie : 
- Les anges n'ont rien dans les poches (1998 : Chump Change)
- La tête hors de l'eau (2001 : Mooch
- En crachant du haut des buildings (2002 : Spitting Off Tall Buildings)

J'avais déjà lu ce deuxième opus dans la collection 10/18. Ce fut même avec ce bouquin que j'ai découvert que John Fante avait un fils qui écrivait. La relecture de "La tête hors de l'eau" aux défuntes éditions 13ème note a été l'occasion pour moi de me replonger une nouvelle fois dans les aventures déglinguées et enivrantes de Bruno Dante. 
Ici, Bruno ne touche plus à l'alcool, enfin... C'est ce qu'il raconte lors de ses réunions régulières aux AA (Alcooliques anonymes). Il a même décroché un job de commercial par téléphone où il faut du bagout et beaucoup de problèmes de fric pour arnaquer des employés aussi paumés que lui à l'autre bout du fil. Il bosse, il baise, il fume, il boit... et il essaye de ne plus boire et de baiser correctement... Mais il ne sait plus trop ce qui est bon et ce qui ne l'est pas. Alors il se contente d'essayer, ce qui est déjà pas mal. Quand il croit tenir l'amour, ça lui échappe comme un paquet de pop corn qui se renverse sur les fauteuils d'un cinéma de quartier déglingué. Quand il pense avoir un job en or, il se fait arnaquer dans les grandes largeurs. Il y a la bibine pour tenir, quelques rails de coke et une féroce envie de ne jamais baisser les bras même quand tous les signaux sont au rouge... Et puis la lecture de Hubert Selby. 
Bruno Dante, le héros de ces récits des paumés de l'Amérique emprunte beaucoup à son géniteur, ce Dan Fante dont la plus grande malédiction fut d'être le fils du génial, colérique et alcoolique John. Bruno comme Dan est passé par tous les enfers de la drogue, de l'alcool et des bas fonds et en est sorti vivant à chaque fois. Il en a ramené des récits plus vrais que nature, sans cliché ni voyeurisme où la descente aux enfers est toujours sublimée par la volonté farouche de trouver du beau même dans les situations les plus cradingues. Une nouvelle relecture et toujours le même constat de lecteur : ça fait du bien par où ça passe, comme un whisky un peu frelaté qu'on noie dans du soda pour s'enivrer à moindre coût. 

ExtraitMon gobelet vide à la main, imitant un client nonchalant, j'ai cherché le rayon des spiritueux et les bouteilles de vodka. Après m'être assuré que personne ne me regardait, j'ai pris une grosse bouteille de Smirnoff dans la rangée du fond et dévissé la capsule. Puis, en la tenant assez pas pour ne pas être vu par-dessus le rayon, j'ai rempli le gobelet à ras bord. Trente-trois centimètres de gnôle claire. J'ai revissé la capsule et remis la bouteille à sa place. En m'éloignant du rayon, avant même d'avoir porté la paillé à mes lèvres et bu ma première gorgée, j'ai senti une onde d'apaisement soulager mon corps, comme un baiser de Dieu.

Dan Fante - La tête hors de l'eau, 13ème note, 240 pages.

mercredi 12 avril 2017

Lecture : Michel Houellebecq - La carte et le territoire

Houellebecq agace, crispe, ou au contraire il attire, charme... Difficile de trouver des avis nuancés lorsqu'il s'agit de parler de la lecture d'un bouquin du monsieur. Faut dire qu'il n'y va pas par quatre chemins pour tracer son sillon : ce n'est pas le romantisme des classiques, pas le modernisme des avant gardistes, pas davantage le nouveau roman de l'école Minuit. Houellebecq fait du Houellebecq, à ce qu'on dit. Bon, alors découvrons tout ça. J'ai choisi "La carte et le territoire" pour une raison bassement matérielle et purement mercantile. Premier bouquin de l'auteur trouvé en occasion. Alors oui, c'est vrai, les bibliothèques c'est pas pour les chiens. Mais moi j'aime bien les chiens et j'aime bien garder les livres que je lis. Même si je fréquente la bibliothèque de mon village et vous savez quoi, y'avait pas un seul Houellebecq dedans. Pourtant ça se vend, ou plutôt ça s'emprunte le Houellebecq. Alors du Levy, du Musso, du Gavalda, ça oui, ça déborde de partout, pire que de la chiure de macaque sur les grilles d'un zoo de banlieue allemande.  
Dans un récent numéro du magazine LIRE, Patrick Rambaud disait de Houellebecq qu'il n'a pas de style. Ailleurs on peut trouver le qualificatif complètement con de "style blanc" comme la littérature que l'on classe sous le même adjectif. Comme la lessive dans un sketch de Coluche. Qu'est ce que c'est chiant de devoir toujours subir les remarques baveuses des psychorigides de l'étiquette ! 

Houellebecq n'est certes pas un styliste ni un légiste des mots. Il ne dissèque rien, sinon la vie contemporaine moderne, triste et grise, là où nous dissimulons notre intolérable solitude sous des tas de fumier spectaculaires et vains.  
Dans ce roman où tout démarre par une panne de chauffe-eau, on nous parle d'un artiste qui photographie les cartes Michelin, qui rencontre une belle russe du nom d'Olga, puis qui se met à peindre des personnalités célèbres parmi lesquelles Michel Houellebecq lui-même. La transmission, l'amour, l'art et sa représentation dans notre société, la fiabilité des chauffe-eau et le rapport à sa propre image : Houellebecq a mis tous les ingrédients dans ce bouquin qui peut paraitre lisse et gentil en comparaison du reste de sa production dont j'ai lu entre temps deux autres romans. J'ai trouvé ce bouquin riche et prometteur, j'aurais aimé que l'auteur se lâche davantage et ne cherche pas à se montrer trop consensuel là où parfois on peut penser qu'il a mis la pédale douce pour ne pas trop s'attirer les foudres de l'Académie. Qu'importe, avec cet exercice de style appliqué et personnel à défaut de génial, Houellebecq a raflé le Goncourt 2010. Une preuve de rien du tout mais un constat. Avec ce bouquin-là, il prouve en tous cas qu'il est un des auteurs français modernes les plus intéressant qu'on puisse lire.

ExtraitVous savez, ce sont les journalistes qui m'ont fait la réputation d'un ivrogne; ce qui est curieux, c'est qu'aucun d'entre eux n'ait jamais réalisé que si je buvais beaucoup en leur présence, c'était uniquement pour parvenir à les supporter. Comment est-ce que vous voudriez soutenir une conversation avec une fiotte comme Jean-Paul Marsouin sans être à peu près ivre mort? Comment est-ce que vous voudriez rencontrer quelqu'un qui travaille pour Marianne ou Le Parisien libéré sans être pris d'une envie de dégueuler immédiate? La presse est quand même d'une stupidité et d'un conformisme insupportables, vous ne trouvez pas ?

Michel Houellebecq - La carte et le territoire, Flammarion, 22.5 €

lundi 10 avril 2017

Lecture : Nii Ayikwei Parkes - Notre quelque part

Je suis très loin d'être un connaisseur de littérature africaine. Plus encore, je suis un piètre connaisseur en matière de littérature du monde. Je l'avoue, hors mis les auteurs américains, quelques français et une poignée d'anglais, je ne m'aventure pas souvent sur les autres terrains de l'expression romanesque. Ce n'est pas que je ne veux pas aller voir ailleurs, c'est juste que je n'ai pas encore la sensation d'avoir épuisé l'exhaustivité de la richesse des littératures que j'aime. Pourtant la littérature espagnole, pour ne citer qu'elle, regorge de richesses et de trésors. Inutile de citer la littérature russe et de l'Europe de l'est que j'ai beaucoup appréciée à une époque (Isaac Babel, Franz Kafka, Knut Hamsun, Nicolas Gogol et Fedor Dostoiesvki pour ne citer que les plus connus). En matière de littérature africaine, cette lecture de "Notre quelque part" constitue donc une grande première. 
Il fallait que ce soit Zulma, cet éditeur qui produit des livres aux couvertures gourmandes et attrayantes et qui publie William Saroyan, américain d'origine arménienne qui compte parmi mes auteurs fétiches. 
Et puis je le concède, c'est la bonne publicité autour de ce livre dans les magazines littéraires qui m'a fait franchir le pas. Nii Ayikwei Parkes est un auteur ghanéen de mon âge (pour l'anecdote) qui est également éditeur, poète. "Notre quelque part" est son premier roman. Il y est question de traditions africaines, de légendes ancestrales et de famille dans la plus pure tradition des mythes fondateurs du continent noir. On y ressent toute la richesse d'un monde très différent du notre avec ses propres règles qui échappent. Question exotisme, on est servi. Mais ça ne s'arrête pas là, et toute l'originalité de ce roman tient dans le propos puisqu'il s'agit d'une enquête criminelle menée par un enquêteur original, médecin légiste local de retour d'Angleterre. C'est l'occasion de confronter la science de l'Europe et les croyances locales, dans un récit bien mené et qui à défaut de révolutionner le genre en propose une vision personnelle tout à fait réussie.
Extrait : Avant, beaucoup d'hommes avaient l'habitude de corriger leurs épouses de temps à autre, mais quand nous tous là nous avons vu ce que Kwaku Ananse faisait, nous avons compris pourquoi nos Aïeux disaient que l'homme brave doit montrer son courage et sa force sur le champ de bataille, et non dans sa maison. Ce que nous avions coutume de faire là, ce n'était pas correct. La force qu'on nous a donnée, cette force doit nous servir pour protéger nos semblables, et non pour faire de nos semblables des esclaves.

Nii Ayikwei Parkes - Notre quelque part Zulma, 288 pages - 9,95 € 

mardi 4 avril 2017

Cet ancien informaticien qu'on appelle Houellebecq

Je découvre les bouquins de Michel Houellebecq.
Il ne s'agit pas d'un processus critique ou d'une quelconque volonté de recherche stylistique. Il ne s'agit pas non plus de céder à contre temps à une quelconque mode. Je suis d'ailleurs plutôt versé dans la littérature américaine que dans la littérature française. Mais voilà, il y a la gueule de Houellebecq qui m'intrigue et moi j'aime bien lire des bouquins d'auteurs aux gueules qui sortent de l'ordinaire. Jim Harrison, Bukowski, Kerouac, Calaferte, Selby... Ils ont tous un truc, à leur façon.
Le marché de l'occasion qui constitue 80% de mes achats de littérature m'a récemment permis d'acquérir - et de lire bien sûr - plusieurs titres de Houellebecq depuis le mois de Février
- La carte et le territoire : moyennement apprécié.
- Extension du domaine de la lutte : très sympathique bien qu'un peu facile.
- Les particules élémentaires : en cours de lecture, très agréable.
Je vais donc continuer à lire les bouquins de cet ancien informaticien qu'on appelle Houellebecq. En attendant quelques avis plus étayés lors de futures chroniques à venir, je ne résiste pas au plaisir d'afficher la gueule de Houellebecq.

lundi 3 avril 2017

MANX : Journal de bord - Semaines 25&26

Cet article fait partie de la série "MANX: Journal de bord" qui se propose de suivre de façon hebdomadaire l'écriture de mon nouveau roman depuis les premières prises de notes jusqu'à l'impression du livre dans... plusieurs mois :) Article précédent : Journal de bord (23&24)

Phase 9 - Et maintenant, le troisième jet ! 
Le second jet est passé à la moulinette. Cela a pris huit jours, stylo bleu et stylo rouge en main pour traquer les incohérences dans le récit, les problèmes de structure narrative, les choses manquantes ou les choses inutiles puis à tout compiler dans le cahier prévu à cet effet.

Maintenant, je vais reporter sur les chapitres du second jet les choses vues lors de cette étape. On ne fait pas encore du détail, mais ce n'est plus vraiment du gros oeuvre non plus. Donc ça avance doucement mais ça permet tout de même de garder confiance, espoir et toutes ces choses indispensables pour ne pas jeter l'éponge au milieu de la somme de travail restant à fournir et qui peut parfois démobiliser. 

Il me faut en moyenne deux journées par chapitre, c'est beaucoup plus long que je l'avais estimé mais c'est une étape déterminante car le résultat commencera à ressembler au produit fini. Ce troisième jet constituera en effet la première version à confier aux bons soins des bêta-lecteurs. Si cela vous intéresse, n'hésitez d'ailleurs pas à vous signaler, j'aurais besoin de quelques lecteurs motivés et disponibles en juin.